mardi 27 octobre 2015

L'identification au héros: confirmation ou confrontation?

Une journaliste, à qui je présentais récemment les premières pages et quelques illustrations de notre roman La fugue de Liann  (réédité sous le titre Liann l'enfant faune) m'a fait cette réflexion: "J'aurais préféré un personnage plus humain!"car, m'a-t-elle expliqué, "il est plus facile de s'identifier à quelqu'un qui nous ressemble."
Liann est un faune: il a des cornes, une queue, des sabots, de grandes oreilles... Bref, il est très différent d'un enfant humain. Au début du livre on ne sait pas trop qui il est, c'est vrai: le lecteur n'a pas de représentation de ce qu'est un faune, quant au caractère de Liann, il va apprendre à le connaître peu à peu, et les nuances du personnage -celles qu’espérait la journaliste- ne peuvent être saisies en quelques pages.

Pour autant, l'identification au héros n'est-elle possible que dans la proximité avec lui? Le héros est-il en quelque sorte une confirmation de l'enfant lecteur?

Effectivement, dans la littérature contemporaine, en particulier dans les romans pour les 8/10 ans, on rencontre surtout des personnages très proches du quotidien des enfants: l'école, les copains, les parents, le voisinage... Il est donc facile pour un enfant de s'y reconnaître.
Mais s'identifier ne signifie pas se confondre. C'est exactement "se pénétrer des sentiments d'un autre". Lorsque la mère de Bambi meurt, l'enfant pleure. Non pas parce qu'il se confond avec le petit faon, mais parce qu'il éprouve alors le sentiment de perte et de désespoir de Bambi. S'identifier, c'est éprouver de l'empathie, tout simplement.
Tristesse, peur, joie, toutes ces émotions l'enfant les éprouve lorsqu'il s'identifie à Bambi, à Pinocchio ou à Liann. A des héros bien différents de lui, pas forcément humains, mais qui connaissent les mêmes sentiments que lui.
Ces histoires, de ce fait, non seulement aident l'enfant à cultiver son imaginaire, mais également l'aident à grandir car les héros, dans leurs aventures, vont parvenir à dominer ces émotions, à surpasser les épreuves, à affronter les moments difficiles pour accéder à plus d'autonomie. L'enfant se confronte avec le héros, et comme le dit Joëlle Turin c'est là que s'affirme chez lui "le désir d'une autonomie qui échappe à l'adulte tout puissant et qui le rend plus fort pour affronter ses propres peurs."

Cette analyse fait souvent l'unanimité lorsqu'il s'agit des albums de jeunesse pour les enfants de moins de 6 ans, mais dans la littérature contemporaine le monde de l'imaginaire s'estompe un peu par la suite pour davantage "coller" aux préoccupations quotidiennes des enfants. Je pense qu'il est utile de favoriser les deux aspects: confirmation de soi grâce une certaine similitude , mais aussi confrontation avec soi, possible grâce à la différence.Selon que le héros lui ressemble ou non, l'enfant se construit dans la connivence ou l 'opposition. Si certains livres montrent un univers très proche de celui du lecteur, il en est d'autres qui justement propulsent l'enfant dans un autre monde où il pourra connaître des expériences inédites: le roman est alors "un multiplicateur d'expériences" dont l'enfant va sortir grandi. Grâce aux livres, il peut acquérir les bénéfices de ces expériences sans en affronter lui-même les dangers.
De plus, dans son imaginaire, et dans ses jeux,  l'enfant se dote souvent de pouvoirs qui lui permettent de se donner confiance et de tenir le coup face aux obstacles. C'est ce qui explique le succès des super-héros comme Superman ou Batman. Leur double identité met l'accent sur la puissance que leur procurent ces pouvoirs surhumains, en opposition avec leur quotidien banal. Le génie de Harry Potter tient en grande partie au fait que le héros vit à la fois les mêmes expériences que tout collégien: l'école,les profs, les copains, ... mais se trouve vivre dans un monde magique et différent et qu'il est doté de pouvoirs surnaturels!
Notre petit héros, Liann, est minuscule et semble sans défense. Mais ses pouvoirs magiques, que l'on découvre peu à peu dans le roman et qui s'étofferont dans les prochains tomes, lui permettent de surmonter les difficultés. Quel enfant ne s'est pas imaginé un jour pouvoir communiquer avec les animaux? ou se rendre invisible ? Et vaincre ainsi des adversaires plus grands et plus forts... comme le jeune Bergamote qui ridiculise les deux bandits pour le plus grand plaisir du jeune lecteur.
C'est la revanche de l'enfant sur l'adulte tout-puissant. En cela le roman aide à grandir car il offre à l'enfant un autre regard sur le monde et sur lui-même. Lui aussi peut vaincre les obstacles. Et dans le cas de "La fugue de Liann", il partage avec lui des émotions diverses: la joie de se sentir libre, la colère, la détermination, la tristesse, la peur, la fierté... 

Pour conclure je vous invite à réfléchir sur ce que propose Michel Picard, dans "La lecture comme un jeu". (d'après le compte-rendu de Martine Marloff, dans son article extrait de l'Institut Français de l'Education)
Pour lui, comme dans le jeu, il y a dans la lecture une activité mentale indispensable pour construire du sens. Mais il y a aussi une fonction cathartique, ainsi par exemple "les méchants focalisent le phénomène de projection." Le lecteur se projette, s'identifie, mais cette identification est protéiforme. De toute façon, quelle que soit la forme que revêt l'identification du lecteur, "c'est bien de lui qu'il est question. Il ne subit pas sa lecture: il la produit."

La lecture, comme le jeu, suppose une mise à distance et se déroule dans un univers à part où la distinction entre vrai et faux n’est plus pertinente. Le lecteur, comme le joueur, se dédouble en un sujet « liseur », pour lequel le monde extérieur ne cesse d’exister, et un sujet « lu », qui obéit au principe du plaisir et s’abandonne. Le lecteur, à la fois liseur et lu, croit et ne croit pas à la réalité de l’illusion : « Je sais bien que ce n’est pas vrai, mais je ne veux pas qu’on me le dise ».


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