mercredi 25 mars 2015

Autour de nos peurs d'enfant

Les 2 illustrations de cette page sont extraites de Chien Bleu, de Nadja, édition  Ecole des Loisirs.

Comme l'écrit Christophe André (Psychologie de la peur) tout enfant a eu un jour "peur du noir, du loup, des monstres cachés sous son lit, des inconnus, peur de quitter sa maman..." Cette peur est une protection réflexe et normale face aux dangers éventuels de l'existence. Toujours d'après l'auteur, ces peurs-là sont peut-être -et c'est le point de vue évolutionniste- une réminiscence des peurs primitives de nos lointains ancêtres face à des dangers comme les animaux sauvages, le noir, l'eau.... En France, dans notre environnement contemporain, elles n'ont plus guère de raisons d'être. Mais le siège de nos réactions émotionnelles "se situe dans les parties les plus anciennes de notre cerveau". C'est pourquoi le déclenchement de la peur échappe à notre volonté, il est en quelque sorte irrationnel. Selon les évolutionnistes, "ces tendances à la peur persisteront très longtemps au sein de notre espèce avant de s'éteindre".
La définition exacte de la peur, c'est la conscience du danger, bien plus que le danger lui-même. Aussi l'imagination joue-t-elle un rôle important dans ce que nous redoutons. Outre cette survivance des peurs ancestrales, il y a toutes les fictions qui ont été transmises de génération en génération pour délivrer un message plus ou moins fondé. La fonction des histoires de monstres, de loups ou de croquemitaines racontées aux enfants était traditionnellement de déclencher chez eux des peurs qui, pensait-on, pourraient leur être utiles. Elles étaient "des moyens d'éducation normaux". (N. Belmont, Comment on fait peur aux enfants)
Prenons l'exemple de la forêt, thème privilégié de ce blog, pour parler plus précisément de cette conscience du danger éveillée chez l'enfant par l'adulte. Le message éducatif cherchait justement à mettre en garde l'enfant pour qu'il ne s'aventure pas loin de la surveillance de ses parents. Ce que lui suggèrent les histoires qu'on lui transmet, c'est que la forêt est dangereuse: on peut s'y perdre comme le Petit Poucet, y faire de mauvaises rencontres comme Le petit Chaperon Rouge. Petit clin d’œil ici à la "moralité" de Charles Perrault: les enfants-et en particulier les jeunes filles- ont bien tort d'écouter toute sorte de gens car, s'il existe des loups fort affables, "Qui ne sait que ces loups doucereux/ De tous les loups sont les plus dangereux?"
Ainsi s'explique l'éternelle peur du loup chez les petits Français du XXIème siècle qui n'ont plus guère, depuis longtemps, de risque d'en croiser. Dans la forêt, ce sont les animaux nocturnes qui sont le plus étroitement liés aux superstitions. La nuit, c'est le mystère de la forêt qui inquiète, justement à cause de dangers qui peut-être la peuplent, et que l'on imagine sans pouvoir les identifier. D'autre part, le loup, comme d'autres, fait partie de ces animaux dont la chrétienté a terni l'image. Pour les chrétiens, il représente les forces diaboliques qui menacent les fidèles, comme le loup menace le troupeau du berger. Chez les peuples païens au contraire, il représentait la force, était guide du sacré (Amérindiens, Celtes) ou initiateur (mythologie nordique).

De par ce mystère, la forêt est l'endroit rêvé du voyage initiatique: l'enfant brave l'interdit pour l'affronter, comme Petit Louis qui pénètre dans la Forêt Interdite (Les Minuscules,Roald Dahl) et viendra à bout du terrible monstre qui l'habite, grâce à sa débrouillardise et à l'aide du petit peuple éponyme du roman. 
Charlotte, qui s'est éloignée de ses parents et se retrouve perdue à la nuit tombée (Chien Bleu, Nadja) est menacée par l'Esprit des Bois, sorte de divinité mystérieuse  venue réclamer son dû en prenant l'apparence d'une panthère noire. La petite fille ne sera sauvée que par l'amour de Chien Bleu.
Le triomphe de l'enfant dans ces voyages initiatiques, c'est celui de l'amitié et de l'entraide, de l’intelligence et du courage  contre la méchanceté, la bêtise ou la cruauté. "Petit mais vaillant", comme Kirikou, l'enfant vient à bout de tous les dangers et sort grandi des épreuves. Le plaisir du jeune lecteur, c'est de s'identifier au héros, c'est le frisson délicieux de la peur lorsqu'on est en sécurité et que l'on sait tout se terminera bien. Dans la littérature enfantine contemporaine, les ogres ne dévorent plus les enfants: comme Le géant de Zéralda ils se transforment même à leur contact!
Le monde occidental a pris  conscience de l'utilité de la faune sauvage prise dans son ensemble . Certaines espèces sont peu à peu réhabilitées, même s'il en est d'autres envers lesquels la méfiance et la superstition persistent. L'image des animaux évolue donc de nos jours dans la littérature enfantine et dans l'esprit de nos contemporains. En écrivant l'histoire de Liann l'enfant faune, nous avons - Alain Benoist et moi - conté une sorte de voyage initiatique "à l'envers", puisque les parents de Liann lui interdisent de quitter l'espace familier de la forêt et lui demandent de ne jamais s'aventurer dans le monde dangereux des humains. Il désobéira, bien sûr, et ce sera le début de bien des péripéties!
Pour finir, je vous propose un petit sondage sur vos peurs plus ou moins irrationnelles, que vous trouverez tout en bas de page: prenez le temps d'y répondre et à la semaine prochaine pour les résultats, accompagnés d'un  article sur un de ces animaux encore mal aimés des humains!

1 commentaire:

  1. Peurs d'enfants, voyage initiatique... Finalement entrer dans une forêt, c'est un peu entrer en soi-même, non? Pour citer Victor Hugo: "Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme."

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